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Histoire des Juifs en Europe
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22 novembre 2008

Du cristal à la mémoire ou de l'imposture à la perversion de la mémoire

Théâtre yiddish : Daniel Mesguich, le metteur en scène de la pièce de Jacques Attali, Du cristal à la fumée, déclare dans un entretien : « Il s'agit de faire signe vers la scène qui s'est déroulée ce jour-là, et non pas de chercher à la montrer, réalistement, ni à la théâtraliser. On pourrait dire que les acteurs ont la tâche difficile de simplement se souvenir. » Or, il apparaît, à y regarder de plus près, que cette pièce est précisément le contraire de ce qu'elle prétend être : un déni, voire une perversion de la mémoire de la Shoah. La pièce montre sur scène une vision de la séance du « conseil des ministres » du régime nazi le 12 novembre 1938, au lendemain de la Nuit de cristal, qui réunit Goering, Goebbels et leurs principaux lieutenants. La publicité organisée autour de la pièce ainsi que la voix off au début du spectacle présente comme une découverte récente les documents à partir desquels l'auteur aurait travaillé sa pièce. En vérité ces documents sont bien connus des historiens depuis déjà un certain temps. Ils n'ont rien d'inédits qui nous révèleraient quelque secret jusque là bien gardé dans les archives. Ce cliché mondain de la révélation, de nature mélodramatique, organisé autour de la pièce a je ne sais quoi de choquant. Mais la vanité de tels propos qui tournent à l'offense sinon au ridicule ne s'arrête pas là.

Le personnage d'Himmler affirme dans la pièce, sur scène, que la Nuit de cristal aurait causé l'incendie d'une centaine de synagogues. Or, ce n'est pas une centaine de synagogues qui ont brûlé lors de la Nuit de cristal, mais, comme le rappelait le rabbin de la synagogue de la rue de la Victoire, en 2002, lors de la cérémonie de commémoration de la Shoah, le jour de la Hazkarah, ce sont près de mille synagogues que les nazis ont fait raser par le feu. Dix fois plus ! Une erreur très grave pour qui prétend « simplement se souvenir ». La mémoire et le respect des morts imposent de ne pas commettre ce genre de bévue. Le trafic de la mémoire de la Shoah dans cette pièce tourne à l'infamie. Infamie d'autant plus ignoble qu'elle est l'œuvre de deux Juifs qui s'autorisent de parler au nom de leur judéité et de la mémoire juive.

Pire. L'auteur fait remonter d'autorité la décision du génocide des Juifs d'Europe par le régime nazi à novembre 1938 alors que les historiens spécialistes de ces questions débattent toujours, entre les essentialistes et les fonctionnalistes, de la question de savoir si la décision est le produit des contraintes de la guerre ou si elle avait été prise depuis longtemps par Hitler. L'auteur, Jacques Attali, ne s'embarrasse pas de telles considérations et ramène, de son propre chef, la décision à 1938. Si ce n'est pas de l'arrogance, on se demande bien comment il faut nommer ce coup de force contre l'histoire. La perversion de la mémoire se double d'une forfaiture historique.

Mais parlons un peu de la pièce elle-même. Cette pièce est surtout d'un ennui mortel. On regarde sa montre dès les premières minutes, on n'y croit pas une seconde. Les personnages, hauts dignitaires nazis sont ridiculisés, forcés, homogénéisés et perdent toute vraisemblance, de vagues guignols, qu'on ne peut identifier qu'en lisant leurs noms inscrits sur un carton devant eux comme si on était à une conférence sur Le Bernin au Carré du Louvre. Il n'y a pas le moindre effort pour montrer comment fonctionnaient ces monstres froids, leurs penchants, leur identité. Rien. Tout sauf du théâtre. Tout sauf l'élan dramatique qui porte à réfléchir. Tout sauf de la matière.

Une parodie historique qui présuppose que toute l'organisation du Reich nazi s'est faite en quelques heures à cette table. Le coup de fil entre Goering et Hitler, qui intervient in fine, est totalement grotesque. C'est une espèce de résumé paroxistique de ce qui se passera dans les sept années qui vont suivre. C'est une invention de Jacques Atali, un "procédé" destiné à boucler sa pièce. On sort de là épuisé par tant de médiocrité, d'absence de sens artistique, accablé par la perversion inhérente à l' absence de travail.

Superficiel, c'est le mot. Pourquoi n'avoir pas poussé le bouchon et fait de la tragédie de la Shoah une pièce de boulevard tant qu'on y est ? L'absence d'intensité dramatique rend tout ce fatras inaudible. Le jeu des acteurs, qui portent tant de médiocrité à bout de bras avec dévouement et honnêteté professionnelle, pâtit de ce manque de fondement tragique dans la construction dramatique de la pièce. Ils ne sont pas là. Ils n'ont rien à se mettre sous la dent. Quant à la mise en scène, pauvre Mesguich ! Il tentent de jouer de la distanciation. Ah quel beau mot! Mais n'est pas Brecht qui veut. N'est pas Chaplin qui veut non plus. Le metteur en scène ose un court instant évoquer le Dictateur et esquisse la scène du globe avec un Goebbels émoustillé... Elle tombe comme un cheveu sur la soupe. Quel toupet ! Quelle incroyable inconséquence ! Quelle absence de respect pour le talent des autres dont Mesguich est totalement dépourvu.

Quant à ce personnage de juif qui erre pendant tout le spectacle comme un fantôme, c'est carrément insultant pour les millions de morts. La mine terreuse et pâle d'un hypothétique Pianiste mis en image dans un film déjà très discutable, enroulé dans une longue gabardine beige, un dandy clochardisé. L'allusion au théâtre yiddish ne fonctionne pas. La scène du "Ai wai ! Der gestorbene Kümt", telle qu'on la connaît par l'image ci-dessus devient ridicule et minable. J'ai eu honte de voir quelle image pouvait avoir le couple Mesguich-Attali des juifs allemands qui virent leur vie sociale et leur existence annéanties pendant l'hiver 1938. Les Juifs étaient alors chics, élégants, autrement plus civilisés et distingués ! Cette pièce n'en est pas une. Il s'agit de l'œuvre d'un touche à tout nanti, suffisamment introduit dans les milieux artistiques où l'on a pris l'habitude de s'autoféliciter de la médiocrité de l'autre pour créer un non-évènement de plus, archi médiatisé et totalement insignifiant.

Le problème des assurances pour indemniser les victimes des dégâts occasionnés par la Nuit de cristal, avec l'introduction du droit, au cœur même de la tyrannie hitlérienne et des lois de Nuremberg, droit défendu par le représentant des assurances Allianz, qui se présente comme un bon Allemand aryen, indifférent au problème des Juifs en Allemagne, aurait pu, s'il avait été conçu comme le cœur battant de la composition dramatique, produire une pièce autrement plus intense que celle qui nous est servie, où ce problème passionnant des assurances est noyé dans un bavardage ignoble où la part grotesque du rire sortant de la bouche des nazis finit par faire oublier à la salle la gravité et le sens tragique de leur propos, la salle finissant par rire avec eux ! Grave problème du rire dans la représentation de l'insoutenable, problème aristotélicien, que la fine fleur de l'art dramatique semble totalement ignorer! Scandale, qu'on pourrait à la limite pardonner chez des amateurs, ignominie chez un professionnel de l'art dramatique, ou qui passe pour tel ! Il eût fallu reserrer l'économie générale de la pièce pour créer une tension dramatique, un conflit hautement significatif entre le droit et l'arbitraire de la tyrannie qui eût posé les grands problèmes du politique, de la cité et de l'humaine condition. Mais c'eût été sans doute demander trop à quelqu'un qui passe pourtant aux yeux du directeur du Théâtre du Rond-Point pour un intellectuel de haut vol, à voir la liste impressionnante d'ouvrages énumérés dont Jacques Attali se dit l'auteur. Jacques Attali est tantôt l'auteur d'épais rapports comme le dernier en date sur le problème épineux des chauffeurs de taxi à Paris, tantôt un auteur mettant en scène une tragédie qui n'a pas de nom.

Du cristal à la fumée est une offense à la mémoire des morts, mémoire sacrée pour les Juifs. Il est impossible de traiter l'histoire, comme lieu de la tragédie, avec la désinvolture qui est celle de l'auteur et du metteur en scène, à propos d'une tragédie qui n'a pas de nom, le terme de Shoah n'étant qu'une appellation par défaut comme l'a maintes fois répété Claude Lanzmann. Le problème des assurances, pourtant central, est si mal traité qu'on finit par le perdre de vue. Il peut enfin paraître inquiétant qu'une telle pièce puisse servir d'éducation pour les nouvelles générations ; la chaîne ARTE l'a pourtant enregistrée ; elle passera à la télévision en 2009 !

 

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