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Histoire des Juifs en Europe
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22 novembre 2008

Théâtre yiddish en Pologne et en Russie

Tout le monde connaît le fameux texte de Kafka sur la troupe de théâtre yiddish qui avait élu domicile à Prague et l'enthousiasme qu'elle suscita en lui. Moins connu est le théâtre yiddish lui-même, notamment en Russie. La culture juive s'y épanouit avec la Révolution de 1917 mais fut très vite réprimée. En 1924, le film muet Jewish Luck mettait en scène le comique Solomon Mikhoels, avec des intertitres signés Isaac Babel. Eisenstein tourna un an plus tard Le Cuirassé Potemkine, puissante évocation de la révolution de 1905. Mikhoels adapta ensuite pour le cinéma Le Roi Lear, s'imposant ainsi comme un des acteurs les plus talentueux de sa génération. Quant au théâtre yiddish, basé à Moscou, il avait une coloration avant-gardiste comme on disait à l'époque, c'est-à-dire l'époque expressioniste.

Très vite le durcissement du régime communiste sous la férule de Staline déboucha sur le démantèlement des structures sociales et politiques de la communauté juive de Russie, qu'elle avait établies avec succès aux premiers temps de la Révolution. Le gouvernement choisit comme première cible le mouvement socialiste révolutionnaire juif, le Bund. Les sociétés sionistes furent également dissoutes, et les journaux juifs interdits. Il remit en question la liberté de culte des Juifs et ordonna la fermeture des synagogues. Le parti communiste créa à l'intérieur de sa propre structure une section juive, ou Yevsekstia, censée s'assurer que toutes les manifestations juives sur le territoire soviétique étaient bien conformes à l'idéologie de plus en plus monolithique du communisme. Par la même occasion, toute activité sioniste fut strictement prohibée. Plusieurs dizaines de milliers de Juifs parvinrent à émigrer avant la fermeture des frontières, dont Marc Chagall, à qui on doit quelques esquisses de décor de théâtre yiddish à Minsk, que la dernière exposition du peintre à Paris a permis de voir.

Chagall, L'introduction au théâtre yiddish - 1920 - Moscou, Galerie Tretiakov

Zuskin, acteur de théâtre yiddish, dans une comédie de Sholem Aleichem, en 1928Ce théâtre se caractérisait par son aspect souvent satirique et anticlérical. Son esthétique se situe dans le courant expressioniste venu de Berlin, une esthétique puissante et envoûtante par sa force expressive. Les grands acteurs de ce théâtre furent Zuskin, qu'on voit ci-contre dans un décor déstructuré typique du théâtre expressioniste yiddish de cette époque qui a largement influencé le théâtre de l'absurde d'après-guerre, bien plus que le théâtre de serre chaude et de componction mallarméenne de Maurice Maeterlinck. En Pologne, Stanislaw I. Witkiewicz s'en inspire aussi indéniablement, bien plus que de Strindberg, contrairement à ce que tend à penser la littérature critique française, peu informée de la culture juive d'Europe orientale, et quelque peu méprisante à son égard, y compris et surtout dans l'université française, notamment chez les germanistes de la Sorbonne. Le yiddish est évidemment très éloigné de la langue de Goethe, qui néanmoins s'y intéressait. Une autre grande star de cette époque, la reine du théâtre yiddish, était l'actrice Ida Kaminska, qui s'illustra notamment dans le rôle d'Esmeralda dans une adaptation du roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris. L\\\\'actrice Ida Kaminska, reine du théâtre yiddish

Mais la grande force du théâtre yiddish était l'humour juif qui le portait à l'autodérision et à la critique parfois violente du pouvoir des rabbins, comme dans cette pièce, L'opium du peuple, violemment antiléricale au théâtre yiddish de Minsk; les lettres tracées sur le postérieur des comédiens signifient "casher".

Ce théâtre a pour origine les fêts de Pourim, les purim-shpiler, qui jouaient tous les ans l'histoire d'Esther, de Mordhe et du Roi Ahashveïrosh; mais il élargit ce répertoire et multiplia les représentations. Parfois, les troupes de théâtre étaient liées aux syndicats de salariés, qui faisaient appel à des metteurs en scène professionnels pour monter leurs spectacles. Les auteurs les plus joués étaient Sholem Aleïhem, Goldfaden, Dymov, Gordin, Gutzov; les pièces les plus jouées étaient Tevie le laitier de Sholem Aleïhem, le Dibbouk d'Anski, Dieu de Vengeance, Motke-Ganev de Sholem-Ash, Le Roi Lear Juif de J. Gordin. Souvent les cercles d'art dramatiques étaient une source d'éducation culturelle et politique pour les jeunes Juifs de toutes tendances, laïcs comme religieux. Le Poaleï Tsion avait notamment un cercle dramatique.

L\\\\'opium du peuple, pièce anticléricale du théâtre yiddish de Minsk

Ce théâtre s'inscrit dans le vaste courant d'émancipation vers la modernité des Juifs d'Europe qui prend naissance comme on le sait avec la Haskala à Berlin et Moses Mendelssohn. Ce phénomène nouveau à la fin du XIXème siècle participe de la volonté de créer une culture nationale moderne et laïque juive, et d'en faire le fondement d'une nouvelle identité nationale juive. Ces idées nouvelles constituent tout un courant du sionisme. Un théoricien comme Leo Pinsker, en 1882, voit un danger pour la nation juive à se réduire à une nation uniquement spirituelle, imprégnée de la vie juive religieuse traditionnelle. Il voit dans une nation uniquement spirituelle le risque de devenir un "fantôme" parmi les nations. On est très loin de l'image d'Epinal du sionisme véhiculée par l'extrême gauche en France, notamment par La LCR et Olivier Besancenot, à la télévision face à des journalistes ignars qui lui laissent dire, sans jamais lui apporter la contradiction, n'importe quelle sottise aux sous-entendus évidemment antisémites, dont pourtant il se défend, mais sans convaincre les personnes concernées. Il est comique, par ailleurs, si tant est que la chose puisse prêter à rire, de voir la LCR dénoncer un sionisme uniquement religieux, fruit de son imagination dangereuse, pour défendre un Hamas qui prône la Charia dans sa charte! Mais les braves gens sont conviés par les masses média à gober toutes ces âneries qui animent le spectacle de la déréliction, de la décadence européenne et de l'antisémitisme de masse avec la bonne conscience des producteurs et la langue de bois des animateurs. On ne dénoncera jamais assez la faculté de nuisance de ce facteur porteur de mauvais messages.

Les Voyages de Benjamin, comédie de Mendele Mokher Seforim montée au théâtre yiddish de Moscou en 1927, qui resta vingt ans à l\\\\'affiche. Les décors sont très stylisés, les perspectives faussées dans la lignée du courant expressioniste de l\\\\'époque.

Représentation du Dibbouk dans les années 1920 par la troupe théâtrale Habimah à Moscou

Scène humoristique: Aïe, c'est le mort qui revient!

L'actrice Goldstein à Lodz

Ce vaste courant de pensée était aussi incarné par des intellectuels et des écrivains qui aspiraient à faire du yiddish une langue universelle, la langue de la nation juive. Ils organisèrent ainsi un congrès, en 1908, à Czernowitz en Bucovine, patrie de Paul Celan, sur l'initiative de l'écrivain yiddish Yitskhok Leybush Peretz, du linguiste Matthias Mieses, du théoricien du nationalisme diasporique Nathan Birnbaum et du philosophe socialiste révolutionnaire Khayim Zhitlovski. Ce congrès, qui fit date dans l'histoire de l'émancipation des Juifs d'Europe et de la culture juive, proclama la langue yiddish comme "une langue nationale juive", à parité avec l'hébreu.

Des cénacles d'écrivains en langue yiddish se formaient, tel ce célèbre groupe, à Varsovie, en 1922, "Di Khalyastre" (la bande), avec de gauche à droite: Mendel Elkin, Peretz Hirshbejn, Uri Zvi Greenberg, Peretz Markish, Melekh Ravitsh et Isroël Joshua Singer, frère du prix Nobel Bashevis. Ils publièrent une revue littéraire expressioniste, qui ne sortit que quelques numéros, "Khalyastre Almanakh".

Un cénacle de créateurs. Varsovie, 1922. Rencontre d'écrivains de langue yiddish qui surnommaient leur groupe

Cette culture riche et diverse trouva en partie refuge aux Etats-Unis avec la montée des fascismes en Europe. Mais, en Europe, elle sombra dans les chambres à gaz des nazis et, en Union soviétique, dans les caves de la Lubianka et au Goulag en Sibérie.

Bibliographie sommaire:

Leo Pinsker, Autoémancipation, trad. française d'André Néher, Marseille, Edition Jasyber, 1985.

Delphine Bechtel, La Renaissance culturelle juive Europe centrale et orientale 1897-1930, Belin, 2002.

Delphine Bechtel, "Les chercheurs en linguistique et histoire littéraire yiddish: une génération d'intellectuels engagés dans la première moitié du XXème siècle", in Ecriture de l'histoire et identité juive L'Europe ashkénase XIXè et XXè siècle, Les Belles Lettres, 2003.

Amos Elon, Zu einer anderen Zeit Porträt der jüdisch-deutschen Epoche, trad. de l'américain par Matthias Fienbork, Carl Hanser Verlag, München Wien, 2003.

Martin Gilbert, Les Juifs La traversée du siècle, Calmann-Lévy, Paris, 2002.

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