8 décembre 2008
LE CLÉZIO ET LES MYTHES : UN DISCOURS MITÉ
Le discours de réception du Nobel par Le Clézio est bien dans l'air du temps : tiers-mondiste sans nuances.
Le plus remarquable dans ce discours et sans nul doute le coeur de son propos est sa position au regard des mythes. Or, ce faisant, il s'inscrit dans un très large et très vieux débat sur le légendaire et les mythes qui a façonné toute la littérature du XIXè siècle, de Nodier, dont Le Clézio reprend à peu de choses près et parfois au mot près, le discours, au grand Victor Hugo qui inove avec La Légende des Siècles, et Mallarmé à la fin du siècle, qui, au nom de la modernité et d'une position politique démocratique en harmonie avec la modernité, la définit, dans un fameux texte sur Wagner, contre les mythes.
Le Clézio reprend presque au mot près en effet un certain discours romantique sur les mythes et les légendes, celui de Nodier sur la poésie légendaire qui serait l'émanation quasi mystique de la Nature. Il écrit notamment dans son discours du Nobel, parlant d'une conteuse rencontrée par hasard au coeur de la forêt, Elvira : "elle portait dans son chant la puissance véridique de la nature." Cette conteuse parle, aux yeux de Le Clézio, cette langue primitive immanente aux voix de la Nature. Elle définit la langue pauvre, propre à la Nature, qui est la langue des pauvres. Une naturalisation du christianisme telle que Nodier le met en oeuvre et le théorise dans ses Eléments de linguistique générale : "hors d'une langue pauvre, il n'y a point de poésie" ; "L'expression poétique était aux premiers hommes ce qu'est un fragment de verre coloré dans le kaléidoscope".
Le Clézio reprend l'archaïque schéma narratif de la femme conteuse, plus proche de la Nature parce que femme (qu'on trouve partout en Europe de Balzac à Thomas Hardy en passant par le réactionnaire Barbey d'Aurévilly avec sa lande de Lessay shakespearisée et mythifiée), récitant autour du foyer les vieilles légendes d'autrefois, la poésie légendaire qu'elle incarne par sa parole vive, où la gestuelle participe de la légende dont elle est le chantre, le rhapsode, réincarnation tiers-mondialisée de l'aveugle Homère...
On est en pleine régression ante modernitatem, en route vers ce vieux fond délétère pétainisé qui aurait quand même lu Le dernier des justes et Pérec. On est à l'opposé des prises de position de Hugo et de Mallarmé. Il n'y a d'ailleurs pas à proprement parlé de position structurante et porteuse de sens chez Le Clézio. Il n'y a plus que la nostalgie qui perdure indéfiniment pour un monde qu'il définit lui-même comme perdu. La tiers-mondialisation des mythes aboutit au vide mythique sans mythe d'une parole collective qui n'est plus la parole de personne quand elle voulait se définir auparavant comme la parole anonyme de l'Un indifférencié. Héraclite, qui est le dernier mot de son discours n'est plus là que comme faire-valoir culturel, élément de kitsch dans un décor patraque où les baraques de foire croulant sous la poussière sont désertées par le saltimbanque de Baudelaire depuis belle lurette. La pédagogie pieuse et saint-sulpicienne qui l'accompagne ne trompera dès lors personne.
Bibliographie :
Claude Millet, Le Légendaire au XIXè siècle Poésie, mythe et vérité, PUF, 1997.
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