Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Histoire des Juifs en Europe
Archives
Publicité
Histoire des Juifs en Europe
Derniers commentaires
Histoire des Juifs en Europe
Newsletter
Pages
Visiteurs
Depuis la création 122 334
23 février 2009

Atelier d'écriture n°1

Tout récemment, je crois avoir enfin trouvé la structure organique d'un récit qui me permette de parler de ce qui a traversé ma vie, le fantôme d'Auschwitz de ma grand-mère. J'y réfléchis depuis vingt-cinq ans. D'aucuns pourront pourront s'effrayer, d'autres crier à l'imposture, d'autres encore ricaner. Toutes ces approches méritent pourtant de les prendre en compte, le ricanement surtout, qui me paraît la réaction la plus intéressante, la plus caractéristique de ce que ce fantôme est venu nous dire et qu'il ne faut surtout pas rater. Le fantôme de ma grand-mère est venu de loin bien sûr, il a mis son temps à affleurer à la surface du monde, m'a fait perdre quelque dix ans de ma vie mais a transformé complètement ma vie. En quoi ? Il m'a rendu, je crois bien, visionnaire. C'est cette quête que je veux raconter depuis quelque vingt-cinq ans dans mon récit. Quête de soi, quête d'identité, quête de l'autre, du monde, de la vie. Mais il n'est pas aisé de parler d'un fantôme. Se pose immédiatement le problème de la forme, qui n'est pas seulement un problème technique mais plus essentiellement un problème spirituelle. Trouver une forme qui ne mente pas. Trouver une forme qui soit la vérité de l'expérience, la vérité de la vie, pas un trucage littéraire. Il s'agit d'être honnête et rigoureux. C'est en vérité une ascèse. Il faut avoir le tempérament fait pour ça ! Dernièrement j'ai donc cru trouver la structure organique qui satisfasse cette ascèse, lui apporte une réponse acceptable à mes yeux. Pourquoi ce miracle est-il arrivé aujourd'hui et pas hier ? Le hasard. Hasard de mes lectures. Je lisais en effet dernièrement les Cahiers de Cambridge de Wittgenstein où il écrit notamment une définition paradoxale de l'autobiographie où je me reconnais : "Ma connaissance de moi-même se présente ainsi : lorsqu'un certain nombre de voiles sont jetés sur moi, je vois encore clair, je vois les voiles. Si toutefois on les retire, de telle façon que mon regard puisse pénétrer de plus près mon moi, alors mon image commence à s'effacer pour moi-même." Le fantôme d'Auschwitz en effet fantomatise le monde. D'une telle expérience qui nous traverse, on ne peut que s'effacer pour soi-même, devenir une figure vide. C'est ce vide qui est le coeur de l'autobiographie, c'est ce vide qu'il s'agit de montrer, de faire vivre pour le lecteur qui s'embarque avec moi dans cette quête spirituelle pour dire ce qu'il en est du monde après Auschwitz. Quelques jours après cette lecture stimulante de Wittgenstein, réfléchissant sur mon travail comme j'ai l'habitude de le faire depuis vingt-cinq ans presque nuit et jour si l'on veut être honnête, le titre du récit m'est venu, puis le début et la fin. La structure organique repose sur un miroir à trois faces, un miroir Brot, qui a été inventé par la maison Brot vers 1875. Le récit comprendra trois parties comme les trois faces de ce miroir. Chaque partie se reflétera dans l'autre dans un trajet et un projet qui visent l'infini des reflets comme image de l'infini. C'est une machine littéraire à produire de l'infini. Il est un livre de mémoire, de deuil et d'oubli, il est un accomplissement. Accomplir le deuil impossible de mon père par cette machine littéraire en travail et le travail de cette machine littéraire. Le travail doit faire partie intégrante du récit comme un reflet dans le miroir d'encre de cette quête spirituelle de soi dans le vide laissé par la trace du fantôme d'Auschwitz. C'est aussi un livre qui devra mettre en œuvre l'oubli du fantôme d'Auschwitz, un oubli qui n'oublie rien mais simplement se souvient d'un être qui fut cher sur la terre à quelques autres. Cet oubli, je vais l'exprimer par une métaphore globale : le vidage de l'appartement où vivait ma grand-mère lorsque ma mère est décédée et qu'il a fallu se séparer définitivement des meubles au milieu desquels ma grand-mère avait elle aussi vécu avant la guerre jusqu'en 1942. Le récit procédera par fragments, par reflets, qui bouleverseront complètement l'ordre chronologique habituel des récits, tout en suivant un autre ordre, un ordre spirituel, celui d'une quête. Il s'agit de construire une image convaincante du vide qui soit capable d'exprimer l'impossibilité de parler de soi avec la plus grande honnêteté possible, sinon à travers Ce qui nous traverse, qui me servira de titre. Ainsi commence le récit : Petit, je me souviens que j'entrais dans le salon et refermais sur moi les deux pans extérieurs de la glace Brot — j'aurais été bien embarrassé d'en dire la raison (était-ce une forme de prescience, les mystères de la filiation ou simplement le goût du vertige ?) — pour voir se projeter ma bouille démultipliée à l'infini, jusqu'au ciel en somme, dans un faible rayon de lumière qui ruisselait de ténèbres à travers le chaos tout au fond. J'avais retiré au préalable la console Louis XV devant la glace en faisant bien attention de ne pas briser la grande lampe bleu gris à laquelle elle servait de reposoir. Au dehors, rien n'avait changé. Le jour somnolant sur le tapis râpé restait indifférent à mes rêveries. Ce miroir, constitué de trois panneaux rectangulaires qui se rabattaient sur celui du milieu, chacun serti dans un encadrement de métal doré, était monté sur un châssis en bois de style Louis XVI assorti aux fauteuils couverts de satin grenat du salon où affleurait par endroits le crin du rembourrage. C'était un héritage de mon grand-père Russe qui s'en servait pour les essayages de ses robes sur les clientes, du temps de sa splendeur dans les années 1910-1920; je pouvais encore le voir sur une vieille photo représentant le grand salon du boulevard Haussmann, au fond de la pièce. Mon père l'avait installé sur un socle en contreplaqué peint en blanc comme les murs, d'une dizaine de centimètres de hauteur, au moment où il avait emménagé rue Godot de Mauroy avec sa mère au printemps 1936. Il occupait le mur en pan coupé d'un angle du salon, fait pour ne jamais être totalement ouvert. C'était un miroir à trois faces et à hauteur d'homme. Ainsi se terminera le récit je ne sais combien de pages plus loin : Est-ce maintenant que je naît ? Commentaire provisoire : Le premier mot sonne comme le son d'une cloche. J'aime cette "explosive" /p/ qui met en marche la machine. Je propose trois explications plausibles de cette manie que j'avais dans mon enfance de refermer en effet le miroir sur moi, où se mêlent les points de vues de l'enfant et de l'adulte. Les mots "terroristes" comme "infini", "lumière", "ténèbres", "chaos" sont atténués parce qu'ils sont pris en compte par le point de vue de l'enfant grâce au mot "bouille" qui leur confère par contrecoup un ton humoristique, motivés dans la phrase suivante par "mes rêveries". Ils ont bien sûr une connotation religieuse ou spirituelle, mais elle ne peut être que suggérée ; elle est pour l'instant un indice, qui devra être développé dans la suite, dans d'autres fragments, d'autres reflets. Il s'agit pour l'instant de poser un dispositif visuel. La régression dans le passé est spatialisée par plusieurs expressions et correspond aux rêveries d'enfance. L'aspect concret du texte, les dates, les descriptions ont pour but de rendre crédible et juste la vision dans le miroir, qui est au centre et le noyau de signification du texte, à haute densité de sens. Les mots "terroristes" sont en partie extraits des Martyrs de Chateaubriand, du Livre VIII et du Livre XXII, où la lampe est infernale, à l'image du "faible rayon de lumière" que Satan laisse passer à travers le chaos. Il m'a semblé intéressant par ailleurs de décrocher un instant de cette situation pour justement la marquer par ce qu'il faudrait appeler sans doute une "métonymie descriptive", le passage où je décris le dehors de la scène de vision dans le miroir, le salon. Ce décrochage est un indice du décrochage du monde à l'égard d'Auschwitz. Au début j'avais écrit : "Le jour, qui somnolait sur le tapis usé jusqu'à la corde, restait indifférent à mes rêveries." Mais j'ai trouvé que la phrase somnolerait davantage si j'écrivais ce qui est maintenant écrit dans le texte. Il me semble que les jeux sonores de la phrase (tapis/râpé/restait/rêveries/) lui donnent une consistance qui a du sens. Plusieurs mots expriment la différence entre deux conditions sociales, l'une glorieuse, passée, l'autre actuelle, modeste, sans en expliquer la raison. Les trous ne seront pas forcément comblés mais les autres fragments en donneront des raisons fragmentaires, celles que je connais, laissant dans l'ombre des reflets les autres ou ne donnant que des pistes de compréhension de ce qui échappe à la compréhension. Faire un récit anti-explicatif, qui donne plutôt à entendre le mystère du monde, l'énigme de vivre, mais absolument sans dogmatisme, tout doit être naturel parce que vécu, réel, honnête. Un fait intéressant s'est produit dans ma vie depuis que je me suis mis à écrire ce récit. Je connais la faim. Comme je suis fortement enrhumé, j'ai trouvé prétexte de cette maladie pour ne pas sortir faire mes courses. Et je me retrouve sans presque rien à manger. J'éprouve la faim dans mon ventre. Je bois du thé. Je ne crois pas que ce soit innocent. C'est le signe que le récit est vraiment enclenché, que les aiguilles tournent, que l'heure approche. Je récite aussi mon récit à Marusa qui se trouve à six mille kilomètres de chez moi. Je l'aime et j'aime ses images. Merci de vivre Marusa.
Publicité
Publicité
Commentaires
L
http://www.youtube.com/watch?v=so7d2A9tr4w#<br />
Publicité