HOMMAGE À ROLAND BURAUD
Roland Buraud est un grand peintre encore mal connu. Il nous a quitté subitement l'année passée, au printemps 2009, emporté par une crise cardiaque. C'était aussi un collègue à qui je voudrais rendre hommage. C'était un homme généreux que ses élèves adoraient et dont on pouvait admirer le travail qu'il faisait avec eux dans les expositions de leurs travaux au collège. Il était originaire de La Rochelle, où il est enterré, ce qui me tient aussi particulièrement à cœur puisque la Charente-Maritime est aussi le pays de la famille de ma mère.
Ses toiles sont de grandes méditations sur la mort et la vie fantomatique que nous menons. Les corps y sont peints comme des linceuls qui errent dans un espace indéterminé, entre la vie et la mort. Un pied, une main en acquièrent dès lors une légèreté indicible qui enchante et fait peur à la fois. On peut y reconnaître la marque de Rembrandt mais ses corps blancs, presque transparents, sont des corps de grande solitude, perdue dans une mort qui ne leur appartient pas qui est pourtant la leur, des corps qui expriment quelque chose comme la mort de la mort d'après Auschwitz telle que l'a pensée le penseur Martin Heidegger, non un refus ni un au-delà de la mort mais une méditation sur ce qu'il en est aujourd'hui de notre rapport à la mort et à la vie, et à la destinée humaine.
Les corps fantomatiques ont leur histoire dans l'iconographie occidentale ; le fantôme a une longue tradition littéraire qui remonte à l'Antiquité ; mais tel que nous nous l'imaginons, il est apparu selon le médiéviste Jean-Claude Schmitt, au XIIIè siècle dans les enluminures pour illustrer l'apparition longuement exposée de Samuel à Saül (I, Samuel, 28, 7-25) dans l'épisode de la pythonisse d'Endor et repris avec des nuances dans les Chroniques (X, 13-14). C'est là qu'est née la figure du fantôme enveloppé d'un linceul alors qu'auparavant le corps del'apparition était simplement enveloppé de ses vêtements, dont la peinture de Roland Buraud est comme un lointain rappel dans l'iconographie occidentale. Chaque civilisation, écrit Georg Simmel dans La tragédie de la culture, se définit par son rapport à la mort qui à son tour definit son rapport à la vie ; Roland Buraud en est indiscutablement un repère et un indice pour la nôtre au tournant du siècle.
Mais la seule peinture occidentale ne saurait rendre compte de toute sa peinture. La Chine entra dans sa vie et sa peinture en 2004 lors de son premier voyage en Chine. Il devait s'y faire des amis Zeng Laide, Cheng Dali, Li Shinan, Jin Zhilin. Il admirait beaucoup Shi Tao et le moine citrouille. J'ai encore présent à l'esprit un long échange avec Roland dans le métro alors que nous revenions du collège à propos de Shi Tao. Il a su en tirer une leçon de vie et de peinture à sa façon.
Dans l'agonie noire
de la vase qui surit,
le mouvement de l'eau
effraie.
On entend le spectre d'une voix
qui flûte dans l'air,
dont on fait les hommes,
unique.
*
De l'œil qui fond, tu as consenti
au sang, à la mort, au serpent :
deux larmes
habillent de nuit l'éclair.
Ton regard si beau m'a rendu invisible.
*