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Histoire des Juifs en Europe
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12 septembre 2010

HOMMAGE À M.-L. BROGGI, PEINTRE, SCULPTEUR, PHOTOGRAPHE

 

DSCF5593Marie-Louisa Broggi, Marusa comme elle aimait que je l'appelle, nous a quittée cet été, emportée par un cancer. Née en Suisse le 5 novembre 1947, dont elle était toujours citoyenne, elle avait très tôt quitté les Grisons et le Bergün de son enfance, encaissé au fond de la vallée de l'Albula, dès l'âge de 16 ans, pour poursuivre ses études d'architecture d'abord à Chur (Coire) puis à Zürich. Elle avait ensuite, à la fin des années 60, émigré à Paris où elle travaillait dans un cabinet d'architecte tout en suivant des études aux Beaux-Arts. Puis, après son mariage qui avait fait d'elle une Française, elle s'était envolée pour les grands espaces américains pour s'installer à Montréal en janvier 1974 au Québec avec son mari, le photographe Marc Cramer. Elle avait son atelier à Outrement, un beau quartier résidentiel au nord de Montréal, dans un de ces grands appartements construits au début des années 40, qui donnent le sentiment quasiment de vivre dans un musée des arts décoratifs avec une rampe d'escalier, des moulures de style typique de ces années-là au plafond, une salle de bain d'époque, une cheminée comme on peut admirer à Montréal quelques objets de style semblable au Musée des Beaux-Arts. Elle vivait seule, chichement, de ses rentes, que sa famille lui dispensait comme à Baudelaire avec parcimonie, avec sa chatte Joséphine, Titine pour les intimes. Elle était canadienne aussi.

 

DSCF5594Elle n'avait que 62 ans et avant que cette affreuse maladie ne la détruise à petit feu depuis le mois de décembre dernier, quand la tumeur se déclara, elle était la femme belle et merveilleuse qu'elle a toujours été par la poésie qu'elle faisait naître autour d'elle et qui émanait d'elle. Elle était aimée dans le monde, souvent avec passion, chez les hommes comme chez les femmes quoique dans un autre sens, pour la joie et la sensualité qui rayonnait d'elle et pour son grand talent que tous ses amis, y compris des peintres connus aux Etats-Unis comme en Suisse, admiraient chez elle, de New York jusqu'à Bali où l'un de ses amis avait émigré, en passant par Paris, Genève, Zürich, Wiesbaden ou Berlin. Elle était un vent de fraîcheur, de bonheur et de vie parfois un peu extravagant voire difficile, mais où elle passait, partout. Ses longs cheveux blonds qui flottaient au vent lui donnaient cet air aérien, déjà visible sur ses photos de jeunesse, et en même temps embarrassé d'être là parmi nous sur terre, un air qui vous bouleversait. Elle était entourée d'amour et pourtant elle se sentait si souvent si seule, sans doute parce qu'elle était la grande artiste qu'elle était, encore inconnue malgré son immense talent, face à son destin et à la mort. On meurt toujours seul, dit Pascal, à si juste raison.

 

DSCF5595Elle était peintre, photographe, sculpteur. Elle avait remporté un premier prix de photographie à Outremont dans les années 1990 avec dans le jury le photographe Daniel Kieffer, qui était alors aussi, par ailleurs, professeur de photographie à l'Université de Montréal, l'UQAM. Au début des années 90, au cours d'une hospitalisation en hôpital psychiatrique où elle avait traversé une crise grave qui l'avait menée au bord de la folie, elle avait créé de très belles statuettes en terre glaise qui forment un ensemble représentant une Cité imaginaire, inspirée d'une relecture d'un tableau de Carpaccio, Le Martyre de Saint-Etienne, dont parle Michel Serres dans son ouvrage sur Carpaccio. Une oeuvre forte et splendide. L'un des projets qui m'anime pour son oeuvre dans l'avenir est de pouvoir les couler dans le bronze. Mais il en existe d'autres dans trois grandes caisses en carton chez elle. 

 

Son oeuvre est considérable. L'ensemble forme plusieurs milliers d'images, sans doute plus de trois mille, sans compter les photographies. Son blog "Perceptions" n'en montre qu'une petite partie. Elle se compose de nombreuses gouaches sur papier qu'elle créait par série, sur carton ou sur foamcore parfois de grandes dimensions, de toiles de très g rands formats (deux mètres de haut) aux cadres anguleux (elle aimait travailler aussi sur les formes du cadre, peut-être inspirée en cela par une certaine peinture cam1américaine, de peintres par exemple comme Kenneth Noland), de toiles acryliques de grands formats comme celles de la période de Marrakech que je me propose d'exposer aujourd'hui avec des documents afférents, réalisées après son séjour au Maroc en avril 1987, l'une des séries les plus importantes et les plus attachantes de son travail. La couleur et la sensualité d'un Orient réel et imaginaire explosent dans ces grandes toiles acryliques de 1460 cm x 1860 cm. Elle en fit une exposition au début des années 90 mais n'en vendit qu'une, 1000 dollars.   

 

DSCF5653Je me propose, dans les semaines qui viennent, de créer un site officiel de M.-L. Broggi, où je publierai au fur et à mesure des possibilités toute son oeuvre ainsi que tous les documents qui s'y rapportent : écrits théoriques, journal intime, poèmes,  car elle avait aussi une plume, lettres avec ses amis dans la mesure du possible, comme avec l'écrivaine franco-canadienne, auteur de plusieurs romans, Hélène Le Beau, son amie intime et très chère de plus de vingt-cinq années. Le but est de promouvoir son oeuvre pour la faire connaître au monde et d'organiser par la suite des expositions, en Suisse, où toute son oeuvre sera stockée et conservée à Bergün, sans doute d'abord à Zürich et Genève mais aussi, on l'espère, à Paris, à New York ou à Berlin. Elle le mérite et vaut la peine qu'on se démène pour elle.

 

Je vous présente aujourd'hui quelques toiles acryliques de la période de Marrakech qui ne figurent pas sur son blog. Les accompagne un poème en prose, magnifique, un poème de sensualité et d'amour qu'il n'est pas excessif de dire cosmique, qu'elle avait écrit à l'occasion comme contre-point en quelque sorte de ses tableaux, et qu'elle souhaitait être dit par une voix de femme pendant qu'on contemplerait ses toiles si belles qui personnellement m'enchantent, certainement un des sommets de son art.

 

Je publierai ici ou sur son site officiel (s'il est prêt alors à fonctionner) des articles de presse des années 90, qui parlent de son travail, articles parus dans "Arts visuels", journal d'Outremont, dans "Forum", le journal de l'UQAM, l'Université de Montréal, et dans "Le Devoir", qui est un peu l'équivalent à Montréal du journal "Le Monde" à Paris. 

 

D1D2Mais avant de vous montrer ces toiles magnifiques de la période de Marrakech, je voudrais exposer les deux derniers dessins que Marusa a réalisés quand elle commença à agoniser, le 27 juillet dernier. Sur le premier dessin, à la mine de plomb, daté du 27 juillet et signé, elle a écrit en allemand : "Warum bin ich trotzdem noch ?" (sous-entendu "am Leben" : Pourquoi suis-je donc encore en vie ?). Plus tard, sur le deuxième dessin à la mine, elle a écrit, cette fois en français, alors que son état s'était aggravé, sans doute vers le 7 ou le 8 août : "Aujourd'hui on est le ................... encore comme ça insupportable". Deux dessins bouleversants, bien sûr, que je voulais vous faire partager.

 

Lorsque Marusa peignit ces toiles acryliques, elle venait d'avoir quarante ans. C'était alors une femme d'une beauté éclatante, envoûtante. On la voit alors qu'elle était dans sa famille à Bergün en Suisse, en octobre 1990. Elle écrivait quelques mois plus tôt pour l'exposition qu'elle réalisa de ces toiles à la galerie "Les Havres Gris" à Montréal, une grande galerie qui n'existe plus, du 6 au 25 mai 1990 pour présenter son travail :

 

Maruetm_re"L'homme et l'espace en mouvance pouvant m'entraîner jusqu'au chaos total selon mon paysage intérieur, calme ou mouvementé, mon GESTE d'un ACTE ou départ d'un tableau se veut pur, SANS AUCUN ACQUIS RATIONNEL ; je veux me surprendre moi-même, donc je pars sous L'IMPULSION AUTOMATISTE avec des INTERMITTENCES CONTRÔLÉES pour rendre plus lisible les sujets qui s'installent ou tout simplement pour ne pas me perdre...

 

"J'aime terriblement passer du BLANC sur mes toiles, le BLEU souvent dominant me fascine particulièrement par sa profondeur INFINIE et MYSTÉRIEUSE et je lui donnerais volontiers la connotation ESPRIT, le NOIR, sujet d'inquiétude et peur s'IMPOSE DE LUI-MÊME souvent pour déLIMITER ou EMPRISONNER l'espace." (M.-L. Broggi)

 

A propos d'une autre exposition, postérieure à celle-là, intitulée "Les Lucarnes d'Hélène", où elle exposait des pastels sur foamcore qui déconstruisent des paysages et des gouaches sur papier, d'un tout autre style, elle précisait certains propos de son exposition des toiles de Marrakech :

 

"Il s'avère cependant que dans mes travaux de l'été 1990, j'ai commencé d'engloutir mon dessin au pastel dans un bain de NOIRCEUR EFFRAYANTE pour en faire ressortir l'ESSENTIEL, la forme et la couleur, avec d'autant plus d'ÉCLAT.

 

"Le noir représente pour moi le danger, la menace, la mélancolie et voilà qu'il ne reste plus que des "LUCARNES", c'est-à-dire de PETITES FENÊTRES sur LA VIE.

 

M916"La suite du travail m'a amené à mettre fin à cette situation antagoniste, à ne vouloir plus que de la couleur et j'ai donc ARRACHÉ LA VIE À LA NOIRCEUR et donné à mes petites formes du relief — l'être humain, toujours au centre de mon travail, a commencé par disparaître et sont apparues des IMPRESSIONS de paysages, anciens et nouveaux, fragments urbains et symboles." (M.-L. Broggi)

 

Il faut retenir, je crois, cette notion d'impression et de symbole aussi pour les toiles de la période de Marrakech et de lutte pour extraire la vie d'une détresse intérieure, qui lui était un problème personnel et intime. Elles expriment un profond mouvement de sensualité aux allures cosmiques où tout dans la nature et la nature comme Tout concourt à l'expression du désir et de l'amour comme l'exprime si bien Rilke dans ses fameuses "Lettres à un jeune poète", qu'elle connaissait bien et et dont elle partageait le goût et les hautes ambitions. Rilke était un de ses écrivains préférés, le poème "Panthère" figure même sur son blog. 

 

Son ambition, profondément spirituelle, elle a voulu aussi l'exprimer sous forme de mots par ce magnifique poème en prose, inspiré par ses impressions de Marrakech qui fut l'élément catalyseur d'une grande sensualité de femme où la chair et l'esprit ne font plus qu'un :

 

 

___________

 

MARRAKECH

___________

 

Cinq heures - est-ce la nuit ? est-ce le jour ? Le printemps s'annonce dans une émeute de signes : cris insistants, coqs, grenouilles, oiseaux au vol sinueux, c'est la fièvre ! Ils se rencontrent à tire d'aile, l'extase les rend fous. Une faim d'amour se prolonge au loin en des formes horizontales coupées par la verticale d'Allah.

 

Palmiers, soyeux pinceaux se peignant dans un ciel aux reflets ocres, aux murs de velours rouge, percés de bleu, ciselés sous l'arc de feu du jour naissant. Marrakech, Marrakech, ton mystère prend vie ! Hommes, femmes aux regards de terre, aux regards de flèche qui se réfléchissent, rayonnent dans la douceur, dans la saveur des oranges sous la lumière qui éclate.

 

Elle entre, invisible, par le cadre de la porte du balcon qui forme un léger trapèze. Le chaos du dehors se calme, obéissant au soleil qui prend sa forme plus nettement dans le ciel à mesure que les limbes de la nuit s'épuisent.

 

Elle est allongée, lascive, le corps en spirale, tendue, calme, nuque pressée contre la blancheur du coussin, lourdeur des rideaux en attente ; lui est assis posément, le dos largement voûté à la mesure de la voûte du ciel sous la lueur pâle des dernières étoiles, tête penchée, cheveux bouclés, suspendus aux fils d'argent de la nuit qui l'absorbe. Il est centré, concentré dans la spirale intérieure de son corps. Corps tout en corps, chair de la chair, motion plus haute que l'esprit dans la calme lumière diffuse.

 

Un soleil nouveau forme un triangle sur le tapis. Il danse. Les corps sont obliques, les palmiers au loin, en contre-obliques, découpent dans le ciel un autre triangle tout mouillé de nuit. L'homme et la femme en travail, signaux éclaireurs, ne forment plus qu'un seul cri parmi le cri des coqs, des grenouilles, des oiseaux dans la lumière d'Allah. L'ocre s'offre au rouge, le vert inonde le ciel aux multiples trajets d'oiseaux amoureux, traverse la voûte blanche jusque dans la chambre où l'homme et la femme, immuable énergie, agonisent sous les caresses.

 

M.-L. Broggi

 

 

Vous pouvez voir ses œuvres sur son site officiel.


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Commentaires
R
J'aime ses photos aussi sur son blog.<br /> Pensées pour vous Michel Alba, je me souviens de votre enthousiasme enfantin et amoureux à tous les deux, retranscris en partie chez P.A. C'était beau.
C
Ainsi vous créez un lien entre ce monde inconnu où elle est maintenant et son oeuvre puissante, ombre mystétieuse, double-phenix, tirant à la vie cette femme en-allée... C'est émouvant et magnifique ... et juste. Merci Michel Alba.
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