POÉSIE SANS ÉCLAT
Automne :
le saule et l'olivier dans le jardin,
le ciel gris sur la ville grise.
Y a-t-il encore quelque chose
à chanter
au-delà des mots ?
*
Le masque de la nuit se met
à rire : c'est un soleil
accroché dans un arbre.
Le café bout dans ta tasse.
Les arbres sont veufs de leurs feuilles.
Les chiffres reprennent les prières
dans le ciel blême.
*
Quelqu'un cherche une adresse
perdue dans la nuit. Il sort une clef
de sa poche. Où est la porte ?
On entend ses pas sur les pavés,
maintenant une heure morte.
Il revient chez lui après
des siècles d'absence, de foules traversées,
de miroirs brisés.
Il enclenche le pêne du loquet qui claque.
Un chien maigre aboie.
*
Quelqu'un marche au bord
des choses, sa démarche marque l'absence
d'un chemin, les ronces écorchent son visage,
il cherche l'algèbre des ordonnances du ciel.
La lune s'est noyée dans ses yeux, une autre réapparaît.
On ne sait plus laquelle croire.
Tout fait monde quand le monde s'efface.
*
Tout est arrivé — dit-il — par hasard.
Les clefs laissées sur la porte,
la nappe blanche, les couverts dressés,
la fille noyée dans le lac,
les jours qui meurent et renaissent
sans cesse,
et l'horizon en fuite, le soleil
sur nos os transis.
Nul ne sait jamais de quoi il est question.
*
Paris sous la neige,
la Seine charriant des glaçons,
formes griffues,
blocs de glace duvetés de cristaux.
Les ponts, les coupoles, les quais :
tout disparaît et danse dans les tourbillons
du poudroiement blanc
qu'on peine à rejoindre,
repoussé dans un lointain intérieur,
comme si tu n'avais jamais existé.
*
Quelqu'un vient, on entend
des pas. On parle dans la nuit,
ou peut-être personne.
Est-ce par derrière la maison ?
Ou le vent qui rôde ?
Une porte se ferme, le ciel se creuse
jusqu'au vertige.
La route se perd dans l'ombre.
On ne sait pas ce qui se passe.
*
Les mots sont devenus difficiles.
Ils restent dans l'ombre,
cachés. — Écoutez voir, disent-ils.
Seuls les morts
les profèrent dans de grands silences
qui nous accablent.
On regarde à travers,
on ne voit
rien.
*
Elle reviendra, — dit-il. C'est sûr.
Les étoiles clignotent dans le ciel.
Elle est simplement absente.
Il a suspendu à l'arbre,
dans le jardin,
ses bas, son soutien-gorge sous la lune,
une chaussure aux semelles trouées.
Il surveille ses gestes, son visage
dans le miroir, sa peau qui se ride,
son ombre qui s'allonge
avec les jours, les années.
Son regard le pénètre,
jusqu'à l'absence, qui l'efface.
On entend simplement
un rire bruyant,
irrespirable.
*
Quand il écrit, il a l'impression
d'une ombre immense derrière lui,
qui s'adresse à lui
ou à d'autres.
Souvent elle fait semblant
de parler,
simplement pour la beauté du geste,
l'éprouver,
du pain, des oiseaux, de la lumière unique.
Et elle se faufile partout
derrière les gens du quartier
quand ils vont faire leurs courses.
*
Il a fermé les rideaux.
Il s'est couché tout habillé
avec ses chaussettes.
Pour témoigner
d'un refus, peut-être.
Refus de la nuit, refus du jour,
refus.
Il se retourne dans son lit,
la tête contre le mur,
qui se creuse,
un trou énorme,
trou du jour, trou de nuit,
le vide
qui devient sa force.
*
Les rideaux frémissent doucement
aux fenêtres. On n'est pas sûr
de comprendre :
la lourde respiration
du silence, les rognures d'ongles
entassées
sur la tablette
dans la salle de bain, l'indifférence
des choses,
belles, intactes, lumineuses.
(Éclats de vie, vie sans éclat, Michel Alba)